Fiche Pratique | La suspension de l’agent public

 

La suspension de l’agent public

De quoi s’agit-il ?

La suspension constitue une mesure conservatoire à l’encontre d’un agent de droit public (fonctionnaire, stagiaire ou contractuel). C’est une mesure dont l’objet est de l’écarter provisoirement de ses fonctions, dans l’intérêt du service, lorsqu’il a commis une faute grave, ou à l’occasion de la commission d’une infraction, en attendant qu’il soit statué disciplinairement ou pénalement sur sa situation. Une telle décision peut être légalement prise, dès lors que l’administration est en mesure de démontrer à l’encontre de l’agent des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave.

La suspension est codifiée dans la partie discipline du Code Général de la Fonction Publique (CGFP), alors qu’il ne s’agit pas d’une mesure disciplinaire. Il importe donc de distinguer la suspension mesure conservatoire, des différents types d’exclusion temporaire de services, qui constituent des sanctions disciplinaires prises après respect de la procédure disciplinaire (voir les fiches sur les sanctions disciplinaires).

Parallèlement, eu égard au caractère succinct de la législation en la matière (5 articles) et à l’absence de définition de la notion de faute grave ou d’infraction, le droit applicable est essentiellement d’essence jurisprudentielle.

Qui est concerné ?

L’ensemble des agents publics.

À noter : des textes spéciaux peuvent différer du droit commun pour certains corps ou cadres d’emplois, notamment pour les enseignants (cf article L951-4 du code de l’éducation, par exemple).

Quelles sont les modalités ?

La mesure de suspension peut être prononcée en cas de faute grave ou d’infraction de droit commun commise par un agent de droit public. Il s’agit donc d’une mesure prise en considération d’un manquement à une obligation statutaire, ce qui inclut les fautes commises en dehors du service ou d’une infraction de droit commun, c’est à dire d’un fait puni par le Code pénal. Pour que cette mesure soit légale, les faits reprochés doivent présenter un caractère de gravité et de vraisemblance suffisant à la date de la suspension (CE 11 juin 1997, ministère de l’Intérieur n°142167). La notion d’infraction est, quant à elle, précisée par le Conseil d’État en ce que l’application du principe de la présomption d’innocence tendrait à exclure la suspension en cas de commission d’infraction, aussi longtemps que la condamnation n’a pas de caractère définitif. De sorte, la notion d’infraction est ici constituée dès lors que des poursuites pénales sont engagées, c’est-à-dire dès la mise en mouvement de l’action publique (CE 3 mai 2002, Mme Fabre, n 239436 et CE 19 novembre 1993, M. Vedrenne n°74235).

Conformément au principe de parallélisme des formes et à la codification, le pouvoir de suspension appartient à l’autorité investie du pouvoir disciplinaire, ou son délégué en cas de délégation de pouvoir ou de signature. En cas de détachement, c’est l’autorité de nomination au sein de l’administration d’accueil qui est compétente pour suspendre l’agent (CE 29 janvier 1988, Ministère de la Défense, n°58152).

La décision de suspension n’a pas à déterminer la date de réintégration de l’agent puisque sa durée, dépendante des procédures disciplinaires ou pénales, engagées postérieurement, ne peut être déterminée à l’avance (CE 15 octobre 1982, Centre hospitalier de Laon, n°34299).

Quelles sont les conditions à remplir ?

L’administration qui a suspendu un agent doit impérativement et immédiatement saisir le conseil de discipline.

Toutefois, il convient de relever que la saisine du conseil de discipline n’oblige pas l’autorité, qui a suspendu un agent, à engager une procédure disciplinaire (CE 1er mars 2006, Ministère de l’Education nationale n°275408 : ne constitue pas un détournement de pouvoir le fait de suspendre un professeur de philosophie en raison de la commission de fautes graves, sans que soit immédiatement engagée une procédure disciplinaire à son encontre).

Quelle durée ?

La situation de l’agent suspendu doit être définitivement réglée dans un délai de 4 mois.

À l’expiration de cette période, plusieurs hypothèses sont à envisager :

1°) S’il ne fait pas l’objet de poursuites pénales, il doit être réintégré.

2°) S’il fait l’objet de poursuites pénales, il convient alors de distinguer deux cas :

  1. a) Si la réintégration est compatible avec les mesures prises par décision de justice et avec l’exercice des missions, donc l’intérêt du service, il doit être rétabli dans ses fonctions à l’issue du délai de 4 mois.
  2. b) Si la réintégration est incompatible avec les mesures décidées par l’autorité judiciaire, ou contraire à l’intérêt du service, par une décision motivée, il peut être affecté, à titre provisoire au moins, sur un emploi compatible avec les mesures judiciaires et conforme à l’intérêt du service, éventuellement par voie de détachement dans un autre corps ou cadre d’emplois. À défaut, il peut le détacher d’office, dans un autre corps ou cadre d’emplois.

Évidemment, la durée de la suspension d’un agent contractuel en CDD ne peut excéder celle du contrat. De plus, la durée de la suspension ne proroge pas la durée du contrat.

En revanche, si la vraisemblance des faits incriminés qui sont à l’origine de la décision est remise en cause par des éléments dont l’administration a connaissance postérieurement, celle-ci est alors tenue d’abroger la mesure de suspension (CE 18 juillet 2019, Université Paris VIII, n°418844).

Quelles formalités à remplir ?

La suspension est une mesure d’urgence prise sous la forme d’un arrêté.

Comme tout acte administratif individuel, la décision doit être notifié à l’agent, c’est-à-dire envoyé en recommandé avec accusé de réception ou remis en main propre contre décharge. Conformément au principe de non-rétroactivité des actes administratifs, la suspension est effective à dater de la prise d’effet de la décision, et donc à compter de sa date de notification (CE 29 janvier 1988, Ministère de la Défense n°58152 précité).

Quelle rémunération pendant la suspension ?

1°) Durant les 4 premiers mois :

Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement.

En revanche, il perd le bénéfice de l’ensemble des primes et indemnités (CAA Marseille, 16 novembre 2004, Commune d’Aubagne n°00MA01794 : les agents suspendus perdent le droit au régime indemnitaire institué par la collectivité, alors même qu’ils bénéficient de la protection fonctionnelle de la collectivité à l’occasion de poursuites pénales dont ils font l’objet).

L’agent contractuel conserve sa rémunération.

2°) Au-delà de 4 mois, si l’agent fait l’objet de poursuites pénales :

  1. Si le fonctionnaire n’a pu être rétabli ou nommé sur un emploi, l’administration peut lui faire subir une retenue sur rémunération dans la limite de 50% de son traitement indiciaire. Mais il continue à percevoir l’intégralité du supplément familial de traitement.
  2. Si l’agent contractuel n’est pas rétabli dans ses fonctions, il peut subir une retenue qui ne peut excéder 50% de sa rémunération ainsi que l’intégralité du supplément familial de traitement.

Quelles conditions de réemploi à l’issue de la suspension ?

Conformément au principe de séparation du grade et de l’emploi (voir la fiche sur « Le grade et l’emploi »), le rétablissement du fonctionnaire dans ses fonctions n’implique pas que ce dernier doit être réaffecté au poste qu’il occupait auparavant (CAA Paris, 30 décembre 2005, n°02PA02049) alors même qu’en raison de son caractère provisoire, la suspension ne rend pas l’emploi vacant (CE 8 avril 1994, Trésorier-Payeur Général du Rhône n°145780 et 146921).

L’autorité hiérarchique procède, dès la fin des poursuites pénales, et sauf à engager une procédure disciplinaire à l’encontre de l’agent, au rétablissement de celui-ci dans ses fonctions.

Quelles en sont les principales caractéristiques ?

Il convient de relever que la décision de suspension n’a pas à être motivé (CE, 22 septembre 1993, Ministère de l’Education nationale n°87033). Toutefois, les faits doivent revêtir la qualification de faute grave.

À ce sujet, il convient de relever que, si la notion de faute grave en droit du travail se distingue de la faute simple ou de la faute lourde qui, dans tous les cas, constituent des causes de licenciement, mais emportent des conséquences financières différentes sur les indemnités afférentes, la qualification de la faute du fonctionnaire, qu’elle soit simple ou grave, n’a pas d’effet sur l’échelle des sanctions encourues (du simple avertissement jusqu’à la révocation, synonyme de licenciement pour faute). L’autorité de nomination, titulaire du pouvoir disciplinaire, n’est en rien tenue par la qualification de la faute pour déterminer la sanction.

Comment la décision de suspension est-elle élaborée ?

S’agissant d’une mesure d’urgence, et non d’une mesure disciplinaire, l’ensemble des droits de l’agent en matière disciplinaire est écarté.

Puisque la suspension revêt un caractère de mesure d’urgence, l’agent n’a pas à être invité à consulter son dossier (CE 22 septembre 1993, Ministère de l’Education Nationale n°87033 précité) et le conseil de discipline n’a pas à être saisi en préalable (CE 29 janvier 1988, Ministère de la Défense n°58152 précité). De même, l’agent n’a pas de droit à obtenir la communication de son dossier ni même à un entretien préalable (CAA Bordeaux,8 mars 2011, Ministère de la Justice n°10BX00639 s’agissant d’un agent qui viole son obligation de réserve le rendant passible de poursuites disciplinaires et pénales). Il n’a pas non plus droit au respect d’une procédure contradictoire (CAA Lyon, 1er décembre 2015, Ministère des sports, n°14LY00725 s’agissant d’un éducateur sportif soupçonné de trafic de produits dopants).

La seule obligation est donc la notification de la décision de suspension.

Quels sont les droits de l’agent ?

L’agent peut contester la décision de suspension, soit par un recours administratif (hiérarchique ou gracieux), soit en saisissant le Juge administratif d’un recours contentieux.

Le droit à congé annuel est subordonné à l’exercice effectif des fonctions pendant l’année de référence. En conséquence, l’absence de service fait exclut que la période correspondant à la suspension puisse générer des congés annuels (CAA Marseille, 3 avril 2007, n°04MA01459) ou des RTT.

Pour l’agent stagiaire, le stage ayant été interrompu, la durée de la suspension est exclue de la durée du stage.

Quelles sont les obligations de l’agent ?

Même en l’absence de service fait, le fonctionnaire suspendu est en position d’activité. Aussi, il est soumis aux obligations légales qui en résultent.


Textes

Code de la fonction publique : Articles L531-1 à L531-5 ;

Décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat : Article 43 ;

Décret n°88-145 du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique territoriale : Article 36 ;

Décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière : Article 39-1 ;

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